Les Eglises face à la souffrance animale-Jean Gaillard Exposé présenté par Jean Gaillard au Cercle des Etudiants Catholiques de Strasbourg le 9 octobre 2002

, par Estela Torres

source : http://cousin.pascal1.free.fr/eglise.html

L’ATTITUDE DES CHRETIENS FACE A LA PROTECTION ANIMALE

Exposé présenté par Jean Gaillard au Cercle des Etudiants Catholiques de Strasbourg le 9 octobre 2002

Les Eglises face à la souffrance animale

J’évoquerai surtout l’attitude des catholiques en France à l’époque moderne. Sous sa forme moderne, la protection animale naît en Europe au milieu du XIXème siècle. Et en France, à deux reprises on a pu avoir le sentiment que l’Eglise catholique allait s’y engager largement.

D’abord à ses débuts. Des prêtres ont adhéré aux sociétés protectrices et y ont même rempli des fonctions de direction. Ainsi la S.P.A. de Paris en comptait 13 en 1864, et 28 en 1868. Deux évêques ont adressé une lettre pastorale sur le devoir de bien traiter les animaux. Sous le Second Empire les cardinaux étaient de droit membres du Sénat : le cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, intervint plusieurs fois en leur faveur devant cette assemblée. L’avocat Alexis Godin développait une réflexion religieuse sur les devoirs de l’homme envers les animaux dans sa revue « Le protecteur des Animaux », qui parut pendant deux ans. Cependant, dans les années qui suivirent, le souhait du cardinal Donnet de voir l’Eglise prendre la tête du mouvement en faveur des animaux ne se réalisa pas. Malgré quelques déclarations épiscopales vite oubliées et le dévouement réel de certains prêtres, le clergé dans son ensemble resta indifférent au sort des animaux, et l’enseignement religieux continua à les ignorer. D’autre part, dans la protection animale se développait un courant laïque – dont Victor Hugo est sans doute le plus célèbre représentant – qui refusait l’influence de l’Eglise. Une sorte de fossé s’est ainsi creusé entre le clergé et les défenseurs des animaux, sans qu’il y eut jamais de rupture totale et ouverte ; quelques prêtres ont toujours été membres de la S.P.A.

Une seconde tentative de rapprochement eut lieu après la première guerre mondiale. Le pape d’alors, Benoît XV, aimait sincèrement les animaux. Malgré les difficultés matérielles des populations dues à la guerre, et rejetant l’accusation de gaspiller l’argent aux dépens des pauvres, il n’a pas hésité à aider financièrement la Société romaine pour la Protection des Animaux, dont il jugeait l’action « en parfait accord avec ce que l’Eglise a toujours enseigné et que les saints ont toujours mis en pratique » ; et il a soutenu l’appel qu’elle lançait au clergé italien en 1919. A cette époque, des catholiques convaincus désiraient former des mouvements chrétiens en faveur des animaux. C’est ainsi qu’en Angleterre fut créé en 1935 The Catholic Study Circle for Animal Welfare, présidé par l’archevêque catholique de Westminster. En France, l’archevêque de Paris, le cardinal Verdier, accordait son patronage à l’Association Française de Défense des Animaux, qui bien que non confessionnelle était dirigée par des catholiques pratiquants. De son côté, Mgr Dutoit, évêque d’Arras, aidait son ami Paul Chanson à fonder une association catholique pour la protection des animaux. Pour son projet, il obtient l’appui de douze archevêques et évêques, de théologiens renommés comme le Père Sertillanges, d’écrivains célèbres :Henri Bordeaux, Paul Claudel, François Mauriac. Une question sur les animaux fut introduite dans le catéchisme national. L’association vit le jour en 1938. Mais la guerre interrompit l’œuvre si bien commencée par Paul Chanson. Et quand elle se termina, la situation avait bien changé.

A cette époque les chrétiens cherchaient surtout à s’ouvrir au monde moderne. Dans l’Eglise se développaient des courants tendant à réduire l’Evangile à un humanisme religieux. Le clergé célébrait le progrès des sciences et des techniques, et reconnaissait à l’Homme tous les droits sur la nature. Il se préoccupait surtout des problèmes économiques et sociaux, voire politiques. La grave crise qui secoua bientôt l’Eglise accaparait l’attention, et il n’était plus question de se pencher vers les animaux. Le concile Vatican II me parait une bonne illustration de cet état d’esprit : dans les nombreux textes qu’il a adoptés, on ne cite jamais les animaux, même si on y trouve des pages sur la création en général. C’est donc dans un contexte difficile que nous avons fondé en 1969 l’Association Catholique pour le Respect de la Création Animale ; et nous avons dû nous contenter de l’appui de quelques prêtres. Au même moment, Mgr Fusaro, un prélat vénitien plus heureux que nous, obtenait le soutien de plusieurs évêques italiens pour sa Lega di San Francesco. En Alsace, le pasteur Schantz, suivant l’exemple d’Albert Schweitzer, prêchait en faveur des animaux.

Quelle est la situation actuelle ? Certes le petit ruisseau favorable aux animaux coule toujours dans l’Eglise. Mais il faut reconnaître que dans l’ensemble les animaux restent ignorés. L’enseignement religieux, pour les enfants ou les adultes, aborde rarement le comportement qu’on devrait avoir envers eux. Dans nos églises on n’en parle presque jamais dans les homélies ; on ne prie presque jamais pour eux. On n’entend presque jamais les autorités religieuses élever la voix contre les mauvais traitements dont ils sont victimes. Cela fait croire aux amis des animaux que les catholiques sont hostiles à la protection animale ; ce qui n’est pas exact, car il y a autant de gens chez eux qui aiment les animaux que dans les autres groupes de la société. On en trouve aussi bien de sensibilité traditionnelle que progressiste ; car si aucun courant dans l’Eglise ne se soucie vraiment des animaux, dans tous des individus le font à titre personnel.

Comment les défenseurs des animaux réagissent-ils à ce silence de l’Eglise ? les catholiques sincères continuent à pratiquer, mais ils se sentent souvent mal à l’aise dans leur communauté chrétienne. Ceux à la foi incertaine, plus nombreux, cessent de pratiquer, et même souvent quittent l’Eglise, à laquelle ils reprochent d’avoir trahi le message d’amour universel du Christ en le limitant à la seule humanité ; fréquemment ils se tournent vers d’autres religions. Marguerite Yourcenar l’a écrit, mais elle n’est pas la seule ; ils sont des milliers et des milliers comme elle. Les amis des animaux, pratiquant ou pas, ont multiplié les démarches auprès du clergé, le plus souvent sans succès. Leur déception se transforme fréquemment en hostilité, et beaucoup ne s’intéressent même plus à l’Eglise dont ils n’attendent plus rien. La plupart des catholiques pratiquants ne se rendent pas compte du scandale que soulève l’indifférence de leur Eglise face au sort des animaux ; et ils sont souvent sincèrement étonnés quand on le leur révèle.

Je ne voudrais pas terminer sur une note pessimiste, car lentement une prise de conscience se fait chez les chrétiens des diverses confessions, surtout en Angleterre et en Allemagne, je crois, mais même en France. Elle est déjà bien avancée pour la nature en général ; elle l’est moins pour les animaux. En voici quelques exemples. Le pape Jean-Paul II a été sensible aux animaux, surtout dans les premières années de son pontificat (1). Le nouveau catéchisme catholique, malgré ses lacunes et ses ambiguïtés, n’est pas du tout entièrement négatif comme on le présente dans les milieux de la protection animale. Deux mouvements chrétiens autres que le nôtre se sont fondés pour les animaux. Les bénédictions d’animaux ont toujours beaucoup de succès. Les livres qui abordent la question animale sous l’angle religieux se vendent bien. Des théologiens, tels Adolphe Gesché, Alexandre Ganoczy, André Wénin ou Junger Montmann, étudient la place de la création et des animaux dans le dessein de Dieu dans une perspective nouvelle positive. Des colloques ont été consacrés aux influences religieuses sur l’écologie et la protection animale. Des jeunes choisissent comme thème de maîtrise ou de doctorat un sujet sur les animaux traités dans une optique religieuse.

(1) Le cardinal Ratzinger (devenu depuis le Pape Benoit XVI) l’est aussi dans ses entretiens avec le journaliste Peter Seewald.