Réponse de la CCA à l’exhortation apostolique Laudate Deum du Pape François

, par Pierre

https://catholic-animals.com/uncategorized/cca-response-to-pope-francis-apostolic-exhortation-laudate-deum/

@WeAnimalsMedia

Catholic Concern for Animals (CCA) accueille favorablement la dernière publication du Pape François, Laudate Deum. L’exhortation apostolique clarifie et complète les informations spirituelles, scientifiques et pragmatiques issues de Laudato Si’ en 2015. Le pape François réaffirme l’importance de la vie de saint François pour une approche sociale du fardeau impératif du changement climatique, comme il l’a fait dans Laudato Si’. Il ne faut pas sous-estimer la publication intentionnelle de la fête de saint François et la louange immédiate de Dieu pour toutes les créatures : Dieu nous a unis à toutes ses créatures (Laudate Deum §66). Le pape François attire l’attention sur les conséquences dramatiques et indéniables du changement climatique. La critique thématique d’un paradigme technologique nous rappelle que le plus grand danger est "l’idéologie qui sous-tend une obsession : augmenter le pouvoir humain au-delà de tout ce qui est imaginable, devant lequel la réalité non humaine est une simple ressource à sa disposition" (Laudate Deum §22). Cette idéologie menace d’endommager les relations humaines et non humaines ; elle nie la valeur de toutes les créatures. La création non humaine n’est pas la toile de fond d’un drame divin dans lequel le développement humain s’effiloche : nous coexistons en tant qu’instances uniques de l’amour de Dieu (Laudate Deum §25). Le pape François rappelle donc aux catholiques la valeur intrinsèque de toutes les créatures et la valeur des relations saines et harmonieuses qui rendent gloire à Dieu (Laudate Deum §27).

Laudate Deum réaffirme la nécessité d’aborder le changement climatique comme une question intégralement sociale : aborder chaque aspect de la crise écologique comme un problème singulier nécessitant un remède individuel contredit notre réalité interconnectée et masque "les problèmes véritables et les plus profonds du système mondial" (Laudato Si’ §111, Laudate Deum §57). L’exhortation manque donc de solutions concrètes et pratiques susceptibles d’atténuer les conséquences des facteurs spécifiques qui contribuent à la crise écologique. Néanmoins, dans ce document relativement court, le pape François reste préoccupé par le problème de l’énergie et de sa contribution au changement climatique anthropique. La crise énergétique mondiale a un impact dévastateur sur la dignité humaine. C’est un rappel nécessaire que nous ne devons pas nous laisser tromper par les apparences et les distractions sur la question des sources d’énergie. Le désinvestissement des combustibles fossiles est une priorité, mais la réunion de la COP28 dans les Émirats arabes unis ne doit pas servir d’écran de fumée pour dire que tout va bien et que tout ira bien : "Tout ce qui est fait risque d’être perçu comme un stratagème pour détourner l’attention" du fait que les émissions mondiales continuent d’augmenter bien au-delà de ce que nous considérerions comme des niveaux "réversibles" (Laudate Deum §55). Laudate Deum est un appel urgent à l’humanité pour qu’elle prenne la responsabilité qui lui a été demandée dans Laudato Si’. Un appel final, si vous voulez.

Le CCA garde à l’esprit la réalité intégrée de la crise écologique et convient que toutes les réponses doivent être multiformes, interconnectées et reconnaître les subtilités de la gestion des effets complexes du changement climatique à travers le monde, dont beaucoup menacent déjà de détruire la vie humaine et non humaine. Laudato Si’ a ouvert une ère de préoccupation écologique dans l’enseignement social catholique en jetant les bases d’une approche des conversations difficiles qui inclut tout le monde (Laudato Si’ §14), mais la réalité est que les changements climatiques spécifiques provoqués par l’humanité sont principalement la responsabilité d’un "faible pourcentage plus riche de la planète" qui contamine "plus que les 50 % les plus pauvres de la population mondiale totale" puisque "les émissions par habitant des pays riches sont beaucoup plus importantes que celles des pays pauvres" (Laudate Deum §9).

L’agriculture animale industrielle, ou élevage industriel, est l’un des principaux responsables du changement climatique anthropique, qui aggrave la crise alimentaire mondiale et accroît certainement la souffrance des créatures non humaines de Dieu. Malheureusement, il s’agit une fois de plus d’un point qui n’a pas été mis à l’ordre du jour dans les écrits du Pape François. Nous pensons que l’absence d’engagement explicite vis-à-vis de l’agriculture animale industrielle est une grave occasion manquée. On prévoit que la consommation alimentaire mondiale contribuera à une augmentation de près de 1C du réchauffement climatique d’ici 2100, la demande de viande devant continuer à augmenter au-delà de toute mesure de consommation prudente. Selon le GIEC, les systèmes de production alimentaire sont la deuxième cause d’émissions mondiales et l’un des principaux facteurs de perte de biodiversité. Les chaînes de production alimentaire émettent du CO2 par leur consommation d’énergie ; elles produisent également du méthane, émis par les animaux d’élevage, qui retient jusqu’à 100 fois plus de chaleur que le CO2. Cependant, la durée de vie du méthane dans l’atmosphère est nettement plus courte que celle du CO2. Par conséquent, une réduction de l’élevage contribuerait à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cela contribuerait de manière significative au maintien de l’objectif de réchauffement climatique de 1,5 °C fixé dans l’accord de Paris, car le méthane est responsable de la majeure partie de l’augmentation prévue sur la base des émissions récentes ; et comme ses effets sont de courte durée, les réductions de méthane seraient rapidement bénéfiques pour le climat.

Le pape François exhorte l’humanité à cesser de nier l’urgence climatique, mais Laudate Deum nie la dure réalité de la production et de la consommation alimentaires en négligeant clairement l’importance de l’impact des systèmes alimentaires sur les animaux, les humains et le monde naturel. Cela laisse perplexe. Tout d’abord, le pape François a abordé la question de la consommation de viande dans le discours de la jeunesse de l’Union européenne en Ukraine en 2020 : "Il est urgent de réduire la consommation non seulement de combustibles fossiles, mais aussi de tant de choses superflues. Dans certaines régions du monde aussi, il serait opportun de consommer moins de viande : cela aussi peut contribuer à sauver l’environnement". Dans Laudate Deum, le pape François loue à nouveau l’action des individus pour changer de manière significative leur mode de vie : moins gaspiller, réduire la pollution, consommer avec prudence et créer une nouvelle culture (Laudate Deum §71). Les actions individuelles contribuent à la transformation du cœur de la société. Cependant, les implications d’une consommation prudente sont laissées à l’imagination. L’élevage industriel est contraire à la dignité humaine et animale. Dans la recherche du plus grand profit possible pour un coût et un temps minimums, les agriculteurs sont exploités. Les entreprises recrutent des immigrants vulnérables, qui sont moins susceptibles de se plaindre de conditions de travail dangereuses, y compris du risque de maladies et d’infections. Dans le même temps, les animaux sont soumis à des modes d’oppression violents. Il est impératif que les actions individuelles protègent à la fois les humains et les animaux et favorisent des relations qui reconnaissent la fraternité et la sororité de tous les êtres vivants.

Nous regrettons que les idées implicites laissées à lire entre les lignes soient insuffisantes. Laudate Deum est un appel final urgent à l’action pour inverser les effets du changement climatique qui peuvent être inversés, et pour ralentir ou arrêter les conséquences irréversibles. Plus important encore, l’exhortation poursuit la trajectoire de Laudato Si’ pour créer une nouvelle spiritualité, une conversation continue qui reconnaît les données scientifiques indiscutables. Il est donc regrettable que les conclusions du GIEC et de la COP26 sur les effets climatiques et émissifs de l’agriculture soient passées sous silence. Nous ne pouvons plus nier la corrélation entre l’augmentation accélérée des émissions de gaz à effet de serre et l’industrialisation de la production alimentaire. Alors que les processus industrialisés étaient autrefois nécessaires pour assurer la sécurité alimentaire, ces mêmes processus intensifiés menacent aujourd’hui la sécurité écologique des pauvres et de la Terre.

La CCA déplore l’omission des animaux non humains dans le Laudate Deum - un pas en arrière par rapport au Laudato Si’, dans la mesure où nos frères et sœurs non humains ne sont pas mentionnés en tant que créatures animales. Un "anthropocentrisme situé" devrait reconnaître la valeur intrinsèque des créatures non humaines dans le contexte d’une dignité humaine unique enracinée dans la responsabilité (Laudato Si’ §15, 43, 69, 90, 118). Il est aujourd’hui plus important que jamais que l’Église catholique guide les laïcs dans l’accomplissement de leur vocation individuelle de coopérateur de Dieu. L’importance de saint François réside dans sa vie, ses cantiques et ses actions (Laudate Deum §1) : notre façon d’être, notre façon de penser et notre façon de vivre dans ce monde sont toutes liées. Nous devons faire mieux que de transmettre des messages implicites dans l’enseignement officiel : nous devons défendre les personnes vulnérables, humaines et non humaines, et offrir des conseils éthiques pour défendre les pauvres et la Terre. L’action politique et mondiale n’est possible que si nous valorisons les actes individuels d’êtres uniques. Or, il n’y a pas deux individus identiques. En d’autres termes, ceux qui contribuent le plus aux émissions mondiales et qui sont les moins nombreux et les plus riches portent une responsabilité bien plus grande en matière de changement. Ce n’est qu’en reconnaissant la responsabilité différenciée dans le monde entier que les actions écologiques deviennent véritablement sociales.

La dignité unique des êtres humains est une épée à double tranchant : elle a la propension de se voir à la place de Dieu (Laudate Deum §73), ce qui se traduit par un pouvoir toujours plus grand, sans les moyens de le contrôler (Laudate Deum §24). Pourtant, c’est aussi notre seul espoir de laisser un héritage derrière nous, de retrouver des relations harmonieuses avec le reste de la création de Dieu (Laudate Deum §18). Nous demandons au Vatican d’aborder la question urgente des systèmes alimentaires, en particulier en ce qui concerne les effets catastrophiques de l’agriculture animale industrielle sur les humains, les animaux et la Terre. La CCA exhorte le Pape François à encourager les actions individuelles qui influencent le changement global. Saint François est ainsi porteur d’espoir, car il considère chaque être humain et non humain comme un frère ou une sœur : nous sommes tous liés en tant que créatures de Dieu ayant une valeur intrinsèque. Mais, comme le souligne le pape François, "les autres créatures de ce monde ont cessé d’être nos compagnons de route et sont devenues nos victimes" (Laudate Deum §15). Ce que nous mangeons et la manière dont nous le produisons correspondent à une maîtrise humaine sur les animaux qui nuit à nos relations. Il est donc impératif que le pape François s’attaque aux modes de domination néfastes qui exploitent les animaux dans tous les aspects de l’écologie intégrale, tels que l’abus des animaux pour le divertissement humain et la recherche. Il n’y a plus de place pour les omissions lorsqu’il s’agit de la crise écologique - cela ne sert qu’à paraître concerné, sans avoir le courage de produire des changements substantiels (Laudate Deum §56). L’Église doit ajouter à son corps social une instruction sur les relations humaines avec nos frères et sœurs animaux par le biais d’un engagement pratique.

Rédigé par Ruby R. Alemu, Université d’Aberdeen
au nom de Catholic Concern for Animals

Sources : Catherine C. Ivanovich

Catherine C. Ivanovich, Tianyi Sun, Doria R. Gordon & Ilissa B. Ocko, "Future Warming from Global Food Consumption", Nature Climate Change, 13.1 (2023) https://www.nature.com/articles/s41558-023-01605-8#MOESM1

Compassion in World Farming, "Ending Factory Farming : People and Poverty" (2023) https://www.ciwf.org.uk/factory-farming/people-and-poverty/#people-and-poverty-sources

Food Empowerment Project "Animal Agriculture Workers", (2022) https://foodispower.org/human-labor-slavery/animal-agriculture-workers/

Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), "Rapport de synthèse sur les changements climatiques 2023 : Résumé à l’intention des décideurs", GIEC, éd. Core Writing team, Hoesung Lee & José Romero (2023) https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/report/IPCC_AR6_SYR_SPM.pdf

Pape François, Laudate Deum (Liberia Editrice Vaticana 2023)

Pape François, Laudato Si’ (Liberia Editrice Vaticana 2015)

Pape François, Message de Sa Sainteté le Pape François aux participants de la Conférence de la jeunesse de l’UE à Prague du 11 au 13 juillet 2022 (Liberia Editrice Vaticana 2022)

Saint François d’Assise, Les petites fleurs de Saint François, trad. Thomas Walker Arnold (Londres : J. M. Dent 1907).